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VOYAGE APOSTOLIQUE DU PAPE FRANÇOIS
EN THAÏLANDE ET AU JAPON

(19 - 26 NOVEMBRE 2019)

RENCONTRE AVEC LES ÉVÊQUES DE THAÏLANDE ET DE LA FABC

DISCOURS DU SAINT-PÈRE

Sanctuaire du bienheureux Nicolás Bunkerd Kitbamrung (Sampran)
Vendredi 22 novembre 2019

[Multimédia]


 

Je remercie Son Éminence le Cardinal Francis Xavier Kriengsak Kovithavanij pour ses paroles d’introduction et de bienvenue. Je suis heureux de pouvoir être parmi vous et de partager, même si c’est brièvement, vos joies et vos espérances, vos initiatives et vos rêves, et aussi les défis que vous affrontez en tant que pasteurs du saint peuple fidèle de Dieu. Merci pour votre accueil fraternel !

Notre rencontre de ce jour a lieu au Sanctuaire du bienheureux Nicolas Bunkerd Kitbamrung, qui a consacré sa vie à l’évangélisation et à la catéchèse, en formant des disciples du Seigneur, surtout ici en Thaïlande, mais également dans une partie du Vietnam et le long de la frontière avec le Laos. Et il a couronné son témoignage au Christ par le martyre. Plaçons cette rencontre sous son regard pour que son exemple suscite en nous un grand zèle pour l’évangélisation dans toutes les Églises locales en Asie et que nous puissions être chaque jour davantage disciples-missionnaires du Seigneur ; ainsi sa Bonne Nouvelle pourra se répandre comme un baume et un parfum dans ce beau et grand continent.

Je sais que vous programmez pour l’année 2020 l’Assemblée générale de la Fédération des Conférences des Évêques d’Asie, pour le cinquantenaire de sa création. C’est une bonne occasion pour revisiter ces ‘‘sanctuaires’’ où sont gardées les racines missionnaires qui ont marqué ces terres et pour se laisser pousser par l’Esprit Saint à partir des traces du premier amour. Cela vous permettra de vous ouvrir avec courage, sans réserve à un avenir que vous devez concevoir et créer, afin qu’aussi bien l’Église que la société en Asie tirent bénéfice d’une impulsion évangélique partagée et renouvelée. Passionnés du Christ, capables de communiquer et de partager ce même amour.

Vous vivez dans un continent multiculturel et multireligieux, d’une grande beauté, prospère, mais éprouvé en même temps par une pauvreté et une exploitation à plusieurs niveaux. Les progrès technologiques rapides peuvent offrir d’immenses possibilités facilitant la vie, mais ils peuvent donner lieu à un consumérisme et à un matérialisme grandissants, surtout dans les rangs des jeunes. Vous portez sur vos épaules les préoccupations de vos peuples en voyant le fléau des drogues et la traite des personnes, le besoin d’assister un grand nombre de migrants et de réfugiés, les mauvaises conditions de travail et l’exploitation au travail vécue par beaucoup ainsi que les inégalités économiques et sociales entre les riches et les pauvres.

Au milieu de ces tensions, il y a le pasteur qui lutte et intercède avec son peuple et pour son peuple ; c’est pourquoi je crois que la mémoire des premiers missionnaires qui nous ont précédés avec courage, joie et avec une résistance hors pair, permettra de mesurer et d’évaluer notre présent et notre mission dans une perspective beaucoup plus ample et beaucoup plus capable de transformer. Cette mémoire nous préserve, en premier lieu, de croire que les temps passés ont toujours été plus favorables ou meilleurs pour l’annonce, et elle nous aide à ne pas nous réfugier dans des pensées et des discussions stériles qui finissent par nous conduire à nous centrer et à nous replier sur nous-mêmes en paralysent tout genre d’action. « Apprenons plutôt des saints qui nous ont précédés et qui ont affronté les difficultés propres à leur époque » (Exhort. ap. Evangelii gaudium, n. 263), et laissons-nous dépouiller de tout ce qui s’est ‘‘collé’’ à nous en route et qui rend plus pénible toute notre marche. Nous sommes conscients qu’il y a des structures et des mentalités ecclésiales qui peuvent même conditionner négativement le dynamisme évangélisateur ; de même, les bonnes structures sont utiles quand une vie les anime, les soutient et les guide. Car, en définitive, sans une vie nouvelle et un authentique esprit évangélique, sans la “fidélité de l’Église à sa propre vocation”, toute nouvelle structure se corrompt en peu de temps (cf. Ibid., n. 26), et peut rendre malaisé pour notre cœur l’important ministère de la prière et de l’intercession. Cela peut nous aider parfois à nous orienter face aux enthousiasmes indiscrets de méthodologies qui ont apparemment du succès mais sont peu viables.

Jetant un regard sur le parcours missionnaire dans ce pays, l’une des premières leçons qu’on retient provient de la conscience que c’est précisément l’Esprit Saint qui est le premier à intervenir et à convoquer : l’Esprit Saint ‘‘précède’’ l’Église en l’invitant à aller jusqu’à tous ces points névralgiques où se forment les nouveaux récits et paradigmes, à atteindre avec la Parole de Jésus ce qui est central dans la profondeur de l’âme de nos villes et de nos cultures (cf. Ibid., n. 74). N’oublions pas que l’Esprit Saint devance le missionnaire et reste avec lui. L’élan de l’Esprit Saint a soutenu et motivé les Apôtres ainsi que tant de missionnaires à n’écarter aucun pays, peuple, culture ni aucune situation. Ils n’ont pas cherché un terrain avec ‘‘des garanties de succès’’ ; au contraire, leur ‘‘garantie’’ résidait dans la certitude que personne, ni aucune culture, n’était a priori incapable de recevoir la semence de vie, de bonheur et surtout d’amitié que le Seigneur veut lui accorder. Ils n’ont pas attendu qu’une culture soit compatible ou s’accorde facilement avec l’Évangile ; au contraire, ils se sont plongés dans ces nouvelles réalités, convaincus de la beauté qu’elles recelaient. Toute vie vaut aux yeux du Maître. Ils étaient audacieux, courageux, parce qu’ils savaient en particulier que l’Évangile est un don à répandre en tous et pour tous : à répandre pour tout le monde, pour les docteurs de la loi, les pécheurs, les publicains, les prostituées, tous les pécheurs d’hier comme ceux d’aujourd’hui. J’aime faire remarquer que la mission, avant de consister en des activités à réaliser ou en des projets à mettre en œuvre, requiert un regard et un flair à cultiver ; elle demande une sollicitude paternelle et maternelle, parce que la brebis se perd lorsque le pasteur la considère comme perdue, jamais avant. Il y a trois mois, un missionnaire français m’a rendu visite. Il travaille depuis presque quarante ans au nord de la Thaïlande, parmi les tribus, et il est venu avec un groupe de 20 à 25 personnes. Tous des pères et des mères de famille, des jeunes de 25 ans tout au plus, qu’il avait baptisés ; c’est la première génération et maintenant il baptise leurs enfants. On peut penser : tu as perdu ta vie à t’occuper de 50 ou 100 personnes. C’était la première semence et Dieu l’a consolé en lui accordant de baptiser les enfants de ceux qu’il avait baptisés au début. Pour lui, ces tribus du nord de la Thaïlande sont simplement une richesse à évangéliser. Il n’a pas considéré cette brebis comme perdue ; il l’a prise en charge.

L’un des plus beaux aspects de l’évangélisation, c’est de nous rendre compte que la mission confiée à l’Église ne réside pas uniquement dans la proclamation de l’Évangile, mais consiste aussi à apprendre à y croire. Que de gens le proclament ! Nous proclamons parfois, dans les moments de tentation, l’Évangile et nous n’y croyons pas. Apprendre à croire dans l’Évangile, à se laisser prendre et transformer par lui ! Elle consiste à vivre et à marcher à la lumière de la Parole que nous devons proclamer. Cela nous fera du bien de nous souvenir du grand Paul VI : « Evangélisatrice, l’Eglise commence par s’évangéliser elle-même. Communauté de croyants, communauté de l’espérance vécue et communiquée, communauté d’amour fraternel, elle a besoin d’écouter sans cesse ce qu’elle doit croire, ses raisons d’espérer, le commandement nouveau de l’amour » (Exhort. ap. Evangelii nuntiandi, n. 15). Ainsi, l’Église entre dans la dynamique de conversion-annonce propre au disciple ; purifiée par son Seigneur, elle devient témoin par vocation. Une Église en chemin, sans peur de descendre dans la rue et de se confronter avec la vie concrète des personnes qui lui ont été confiées, est capable de s’ouvrir humblement au Seigneur et de vivre avec lui l’émerveillement, la surprise de l’aventure missionnaire, sans sentir consciemment ou inconsciemment ce besoin de vouloir être aux premières loges, en occupant ou en prétendant à on ne sait quelle place de prééminence. Comme nous devons apprendre de vous la leçon que dans beaucoup de vos pays ou régions vous constituez des minorités, parfois des minorités ignorées, rejetées ou persécutées, sans pour autant vous laisser guider ou contaminer par le syndrome d’infériorité ou vous plaindre de ne pas vous sentir reconnus ! Vous allez de l’avant, vous annoncez, vous semez, vous priez et vous espérez. Et vous ne perdez pas la joie.

Chers frères, « unis à Jésus, cherchons ce qu’il cherche, aimons ce qu’il aime » (Exhort. ap. Evangelii gaudium, n. 267) et n’ayons pas peur de faire de ses priorités les nôtres. Vous savez très bien ce qu’est une Église petite s’agissant des personnes et des ressources, mais dynamique et désireuse d’être un instrument vivant de l’engagement du Seigneur envers toutes les personnes de vos peuples et contrées (cf. Conc. Vatican II, Const. dogm. Lumen gentium, n. 1). Votre engagement à promouvoir cette fécondité évangélique en annonçant le kérygme par des œuvres et des paroles dans les différents domaines où se trouvent les chrétiens est un témoignage convaincant.

Une Église missionnaire sait que sa meilleure parole, c’est de se laisser transformer par la Parole qui donne Vie, en faisant du service son dernier mot. Ce n’est pas nous qui organisons la mission, encore moins nos stratégies. L’Esprit est le vrai protagoniste qui nous pousse, nous pécheurs pardonnés, et qui nous envoie inlassablement partager ce trésor dans des vases d’argile (cf. 2 Co 4, 7) ; transformés par l’Esprit pour transformer chaque endroit où nous nous trouvons. Le martyr du don de soi quotidien et ce, bien souvent dans le silence, portera les fruits dont vos peuples ont besoin.

Cette réalité nous pousse à développer une spiritualité bien particulière. Le pasteur est une personne qui, en premier lieu, aime profondément son peuple, connaît son identité, ses faiblesses et ses forces. La mission, c’est certes l’amour de Jésus Christ, mais c’est en même temps une passion pour son peuple. En fixant le regard sur Jésus Christ, nous reconnaissons tout cet amour qui nous restitue la dignité et nous soutient, et précisément là-même, si nous ne sommes pas aveugles, nous commençons à percevoir que ce regard de Jésus Christ s’élargit et se dirige, rempli d’affection et d’ardeur, vers tout son peuple (cf. Exhort. ap. Evangelii gaudium, n. 268).

Souvenons-nous que nous aussi, nous faisons partie de ce peuple ; nous ne sommes pas les patrons, nous faisons partie du peuple ; nous avons été choisis comme des serviteurs, et non comme des patrons ou des maîtres. Cela signifie que nous devons accompagner ceux que nous servons avec patience, avec douceur, en les écoutant, en respectant leur dignité, en encourageant et en valorisant toujours leurs initiatives apostoliques. Ne perdons pas de vue que beaucoup de vos pays ont été évangélisés par des laïcs. Ne cléricalisons pas la mission, s’il vous plaît ! Encore moins, ne cléricalisons pas les laïcs ! Eux les laïcs, ils ont eu la possibilité de parler le dialecte de leur peuple, un exercice simple et direct d’inculturation qui n’est ni théorique ni idéologique, mais qui est plutôt le fruit de la passion d’annoncer le Christ. Le saint peuple fidèle de Dieu possède l’onction du Saint que nous sommes appelés à reconnaître, à valoriser et répandre. Ne perdons pas cette grâce de voir Dieu agir au milieu de son peuple, comme il l’a fait autrefois, le fait actuellement et continuera de le faire. Une image me vient à l’esprit, qui ne faisait pas partie du programme mais… : le petit Samuel qui se réveillait la nuit. Dieu a respecté le vieux prêtre, faible de caractère, il le laissait faire, mais il ne lui a pas parlé. Il a parlé à un petit garçon, à un peuple.

Je vous invite à titre particulier à toujours garder la porte ouverte à vos prêtres. La porte et le cœur ! N’oublions pas que le prochain le plus proche de l’Évêque, c’est le prêtre. Soyez proches d’eux, écoutez-les, cherchez à les accompagner dans toutes les situations qu’ils affrontent, surtout quand vous les voyez découragés ou abattus, ce qui est la pire des tentations du diable. L’apathie, le découragement ! Et cela, faites-le non pas comme des juges mais comme des pères, non pas comme des gérants qui se servent d’eux, mais comme de vrais frères aînés. Créez un climat de confiance pour un dialogue sincère, un dialogue ouvert, en cherchant et en demandant la grâce d’avoir la même patience que le Seigneur a envers chacun d’entre nous. Et quelle est grande, qu’elle est grande !

Chers frères, je sais que les questions que vous devez affronter dans vos communautés sont multiples, aussi bien pour chaque jour que concernant l’avenir. Ne perdons pas de vue que dans cet avenir souvent incertain et chargé d’interrogations, c’est précisément le Seigneur lui-même qui vient avec la force de la Résurrection en transformant chaque plaie, chaque blessure, en source de vie. Regardons demain avec la certitude que nous ne sommes pas seuls, que nous ne cheminons pas seuls, que nous ne marchons pas seuls, qu’il nous attend en nous invitant à le reconnaître surtout dans le partage du pain ! 

Demandons l’intercession du bienheureux Nicolas et de tant de saints missionnaires, pour que nos peuples soient renouvelés par cette même onction !

Étant donné que se trouvent ici aujourd’hui de nombreux Évêques d’Asie, je saisis l’occasion pour étendre la bénédiction et mon affection à toutes vos communautés et, spécialement, aux personnes malades et à tous celles qui sont en train de passer par des moments d’épreuve. Que le Seigneur les bénisse, les protège et les accompagne toujours ! Et vous, qu’il vous tienne par la main ; et vous, laissez-vous tenir par la main du Seigneur, ne cherchez pas d’autres mains !

Et s’il vous plaît, n’oubliez pas de prier et de faire prier pour moi, car tout ce que je vous ai dit, je dois me le dire à moi-même !

Merci beaucoup !

 



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